Jean-Pierre Chevènement : «Halte au Hollande bashing !»

03/05/2013 22:34

Dans une interview au journal « Les Echos », le sénateur MRC Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de François Mitterrand et Lionel Jospin, revient sur la première année du quinquennat de François Hollande.

Jean-Pierre Chevènement revient sur la première année de présidence de François Hollande - Reuters
Jean-Pierre Chevènement revient sur la première année de présidence de François Hollande - Reuters

Quel bilan faîtes-vous de la première année de quinquennat de François Hollande ?

 

Il est impossible de juger François Hollande sur un laps de temps aussi court car il a fait le choix du long terme, et d’abord avec le rapport Gallois, pour reconquérir la compétitivité de notre appareil productif. Notre balance commerciale est en déficit depuis 2002. Nos concurrents ne sont pas qu’en Asie mais également en Europe : nous avons perdu 15 points de compétitivité sur l’Allemagne depuis le début des années 2000. La France subit une crise extrêmement profonde, celle du capitalisme financier, redoublée par celle de la zone euro. Quelles mesures a pris la droite pour corriger le déficit de notre balance commerciale, que l’on ne peut pas décemment imputer aux seules 35 heures ? Et si tel était le cas, qu’a-t-elle fait pendant dix ans ? Imputer la crise particulièrement à François Hollande n’a pas de sens : elle est la responsabilité partagée des gouvernements de gauche et de droite depuis plus de vingt ans. C’est pour cela que je dis : Halte au Hollande bashing ! François Hollande a été élu pour cinq ans ; il est légitimement le Chef de l’Etat. Dans l’intérêt de la France, il faut respecter sa fonction et ne le juger qu’à la fin de son mandat.

N’est-ce pas le rôle de l’opposition que de contester la politique du Président ?

Mais pas sa personne. L’opposition présente François Hollande comme quelqu’un d’indécis or il a été capable de prendre une décision prompte, courageuse et justifiée sur l’intervention militaire au Mali. Le masochisme national et le manque de patriotisme des élites françaises sont consternants. Ainsi la polémique sur la germanophobie supposée du PS serait risible si elle n’était pas d’abord pitoyable. François Hollande sait faire preuve de persévérance, d’endurance et il démontrera sa capacité de rebond.

Vous qui plaidez depuis longtemps pour une politique industrielle, Estimez-vous que la France en a désormais une ?

Trop défensive. Pas assez de stratégie. Trop peu de moyens. La Banque publique d’investissement est une bonne chose. Il faut davantage canaliser l’épargne vers l’industrie et les PME. L’accord des partenaires sociaux sur la sécurisation de l’emploi me paraît avoir trouvé un bon équilibre. Et le crédit impôt compétitivité est une solution habile qui va permettre aux entreprises de regagner 4 à 5 points sur leurs marges. Cela va dans le bon sens mais ce ne sera pas suffisant. Surtout je n’ai jamais séparé la politique industrielle de la politique de change. Le choix de la monnaie unique a été une erreur historique : l’euro qui valait 0,82 dollars en 2000 en vaut 1,3 aujourd’hui, très au-dessus de son court de lancement (1,16 dollars). Cela a un impact direct sur notre compétitivité à l’export. Dans la guerre des monnaies, la France est deux fois le dindon de la farce : face aux pays extérieurs à la zone euro comme les Etats-Unis, la Chine, la Grande Bretagne et le Japon qui laissent filer leur monnaie par rapport à l’euro et face à l’Allemagne dont la spécialisation industrielle sur le haut de gamme s’accommode d’une monnaie forte.

Arnaud Montebourg est-il un bon ministre de l’Industrie ?

Arnaud Montebourg compte dans l’équation gouvernementale. Il est normal qu’il soit critiqué car il heurte les habitudes et la façon de penser de nos élites dirigeantes, mais il dit des choses justes, notamment sur le nucléaire et le made in France.

François Hollande a-t-il posé les actes nécessaires sur la scène européenne ?

J’ai voté contre le TSCG car il engage l’Europe sur la voie de la récession économique, sociale et donc politique. Ce traité directement inspiré par Mme Merkel et M. Schaüble a des effets directement contraires aux objectifs affichés de réduction des déficits et de la dette. Avec les moins-values fiscales qu’entraîne la récession, c’est l’inverse qui se produit. Pour redresser nos finances publiques, il faut d’abord parvenir à refaire de l’Europe une zone de croissance. Il y a certainement un autre dosage à trouver que celui du TSCG et il n’y a nulle germanophobie à vouloir aborder franchement les problèmes de fond avec l’Allemagne.

La France le fait-elle de la bonne manière ?

Les Français ont longtemps cru qu’avec l’Europe, on allait faire la France en grand. Ce n’est pas et ce ne sera pas le cas. Les pays émergents ont une revanche à prendre, l’Allemagne se développe bien plus fortement que nous en Chine et en Russie. Vis-à-vis des pays émergents, il faut que la France aussi joue son propre jeu. La voie empruntée par François Hollande qui consiste à se plier d’abord aux impératifs budgétaire est très difficile. Pour devenir un grand président, il faut qu’il sache rompre avec les dogmes qui depuis trois décennies ont enfermé notre pays dans une nasse redoutable.

Comment définissez-vous la ligne sa politique de l’exécutif ?

Pour moi, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, homme honnête et sincère, est un gouvernement de centre gauche. Je préfère cela à un gouvernement de droite. La revalorisation du primaire à l’Ecole est un choix stratégique. Je le soutiens mais les yeux ouverts, sans rien renier de la liberté d’expression et de vote qui est la mienne en tant que parlementaire.

VIDEO Jean-Pierre Chevènement : “Le PS n’est pas germanophobe”

Y a-t-il des choses que vous désapprouvez ?

Le TSG bien sûr. Trop de temps perdu sur le mariage gay : l’essentiel est dans l’économie. Un bon point pour le budget Défense même si la suppression de 20 000 postes dans les armées après les 54.000 de la loi de programmation Sarkozy réduit excessivement le format. Mais l’équation budgétaire est difficile...

Comment décririez-vous l’état du pays ?

La France n’a plus confiance en elle or elle garde des atouts, notamment sa démographie. Il faut lui redonner une perspective de long terme, l’ouvrir sur le monde et notamment les pays émergents et trouver un compromis avec l’Allemagne sur l’Europe, c’est au Président de la République de le faire.

S’agissant du gouvernement Jospin, on a parlé de la « dream team », de l’équipe actuelle on retient surtout les couacs. Où est le problème ?

Des couacs, il y en a toujours eu. La dream team s’est effilochée à partir de 1999 avec les départs de Dominique Strauss-Kahn, de Claude Allègre, de Martine Aubry et de moi-même… Ce qui compte c’est la dernière année.

François Mitterrand et Lionel Jospin avait veillé à faire l’union de la gauche au moins au début de leur mandat. Ce n’est pas le cas aujourd’hui…

Je regrette que le PCF ne soit pas au gouvernement. Il n’est pas sain que la critique franchisse le seuil qui rend inaudible la solidarité des forces de gauche et de progrès. La période exige le salut public. Je suis partisan d’un large rassemblement.

Y compris avec le centre ?

Je ne suis pas ennemi d’une large ouverture allant jusqu’à des personnalités qui ne viennent pas de la gauche dès lors qu’elles sont d’accord sur une politique permettant de réorienter l’Europe. Pour cela – qui est l’essentiel - il faut chercher des alliés à l’extérieur (l’Allemagne bien sûr) mais aussi à l’intérieur.

Écrit par Elsa Freyssenet
Chef de service adjointe

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